© photo Chloé Vollmer-Lo & Julie Dachez

Interview de Julie Dachez

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© photo Chloé Vollmer-Lo & Julie Dachez | Tous droits réservés.

Le programme pour la journée mondiale de l’autisme sera marqué cette année par l’intervention de Julie Dachez lors du colloque du 2 avril à la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de Limoges, Amphithéâtre Vareille.

Pour participer à cet événement gratuit, il est indispensable de s’inscrire  :
https://my.weezevent.com/conference-journee-mondiale-de-lautisme

Julie Dachez, Docteure en psychologie sociale, conférencière et militante française pour les droits des personnes TSA, s’adressera aux personnes autistes (ados, jeunes adultes, adultes) et à leur entourage. L’intitulé de son intervention “Apprendre à se Comprendre” explore des thématiques essentielles à l’épanouissement et à l’inclusion de tous.

Pour mieux cerner son sujet, le CRA Limousin a recueilli sa parole. Nous la remercions très chaleureusement pour sa disponibilité et pour le temps qu’elle a bien voulu nous accorder.

Bonjour Julie, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a motivé à conduire vos travaux et vos recherches ?

Après avoir travaillé un peu dans le domaine privé, sans que cela soit très épanouissant, j’ai fait une reprise d’études en psychologie. Parallèlement à cette reprise, le diagnostic d’autisme m’est tombé dessus (sic). J’avais 27 ans.

Recevoir ce diagnostic tardif a été comme un tremblement de terre dans ma vie. J’ai compris que mon comportement était en fait complètement normal, vu que j’étais autiste. Je n’étais pas une non autiste défaillante, j’étais juste différente.

Cette reprise d’études et ce diagnostic m’ont donné envie de faire une thèse. Je me suis intéressée au volet de la recherche en lien avec l’autisme.
Mon idée alors n’était pas d’étudier le TSA d’un point de vue clinique, c’est à dire d’en étudier les symptômes ou les méthodes d’accompagnement. Je me suis plus concentrée sur le point de vue de la psychologie sociale.

Je trouvais cela plus intéressant, car à l’époque ce qui me posait le plus de problèmes dans ma vie ce n’était pas tant le fait d’être autiste, mais plus d’être confrontée à l’incompréhension des personnes, de sentir de nombreux préjugés y compris après mon diagnostic.

Devant le peu de recherche qu’il y avait en psychologie sociale, je me suis dit qu’il y avait tout à faire et que le sujet méritait d’être creusé, contrairement à ce que l’on me disait. De voir l’autisme à travers un prisme social, c’était relativement nouveau lorsque j’ai débuté mon travail de thèse en 2013.

 

Il s’agit finalement d’une période assez courte, qui questionne le peu de travaux réalisés sur l’autisme à travers des disciplines plus sociales ?

Oui, mais pourquoi ? Parce que depuis le début, les recherches ont été menées par des personnes qui n’étaient pas autistes. Ces chercheurs ont donc eu leurs propres biais, et ont envisagé l’autisme en privilégiant une approche psychiatrique et une vision déficitaire. Ce que l’on sait donc aujourd’hui au sujet de l’autisme (ou ce que l’on pense savoir) s’est construit via ce prisme, qui n’est pas anodin, et que malheureusement peu de personnes ont questionné. Plus récemment, des chercheurs.euses autistes proposent une autre façon d’étudier l’autisme. Leurs travaux sont extrêmement précieux mais malheureusement peu connus.
Lorsque j’ai débuté mes travaux, il y a environ 10 ans, je ne me suis pas cachée d’être une femme autiste, ce qui n’a pas été sans conséquences. Certains membres de mon jury de thèse par exemple ont  remis en question mon manque d’objectivité, puisque j’étais une personne concernée. Mais tout le monde a des biais. Ce que je veux dire, c’est que personne ne peut avoir de position complétement neutre. Tous les chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales font partie de la société qu’ils étudient, et sont donc inévitablement influencés par les biais et les enjeux de pouvoir qui la traversent. Il est nécessaire d’en avoir conscience afin de viser une objectivation des recherches. Et cela ne s’applique pas uniquement aux chercheurs et chercheuses autistes, mais à tous et toutes.

Mais c’est quelque chose qui demeure compliqué à faire entendre.

J’ai ensuite travaillé à l’INSEI : Institut national supérieur formation et recherche – handicap et enseignements adaptés (ex INSHEA) en tant qu’enseignante-chercheuse.

Actuellement, je suis en disponibilité pour me consacrer aux conférences, à des travaux d’écriture et de vulgarisation scientifique.

 

C’est donc dans ce cadre que nous aurons le plaisir de vous accueillir le 2 avril. Pouvez-vous nous expliquer ce choix actuel de privilégier ce type de travaux et d’interventions auprès d’un public plus large ?

Même si j’ai bénéficié de certains aménagements au sein de l’INSEI, j’ai trouvé très dur de faire un travail de qualité, notamment au niveau de la recherche.
En tant qu’enseignante chercheuse, je devais mener de très nombreuses démarches en lien avec ces deux activités. L’ensemble était titanesque.
J’ai donc fini complétement burnoutée. Ce qui m’a amené à faire un pas de côté.

Mon choix s’explique aussi par le fait que je pense être plus douée dans la communication scientifique, que dans la production de la recherche. Je crois que c’est ce qui me plait le plus. Cette idée de transmettre a plus de sens pour moi.

 

En quoi votre approche basée en partie sur les mécanismes sociaux éclaire-t-elle la question de l’autisme ?

Après ma thèse, je me suis ouverte à une approche interdisciplinaire, qui permet d’étudier un sujet en mobilisant plusieurs disciplines. Cela permet d’éviter une réduction du sujet à une seule grille de lecture. Par exemple, la psychologie clinique peut parfois se focaliser sur le “dysfonctionnement” et la pathologie, tandis que la sociologie met l’accent sur les structures sociales et les rapports de pouvoir. En combinant plusieurs approches, on obtient une analyse plus équilibrée.
Ces recherches viennent aussi déconstruire cette vision déficitaire de l’autisme.

Les travaux des chercheurs.euses autistes permettent de prendre conscience de l’impact que le validisme a eu sur la production de savoir sur l’autisme, et offrent un pas de côté. Leur porte d’entrée à eux n’est pas celle du déficit. Ils adoptent un point de vue plus macro pour aller interroger la façon dont la société, les injustices et discriminations impactent les personnes autistes (leur santé mentale, entre autres) et la façon dont elles sont perçues.

Je trouve que ce point de vue est extrêmement intéressant et que finalement il n’est pas beaucoup relayé et entendu.

 

Vous avez à cœur de redonner la parole aux personnes TSA. Quels sont vos attendus à travers cette démarche ?

Pour ma dernière recherche, notre équipe composée de différents chercheurs (en sociologie, sciences de l’éducation…) a interviewé des personnes autistes pour analyser leurs expériences dans l’emploi accompagné en France. Nous avons mis en place une méthodologie dite participative. C’est à dire que nous avons fait participer des personnes concernées d’A à Z, de l’élaboration du projet de recherche, jusqu’à la publication de l’article scientifique. Par exemple, la grille d’entretien qui a été réalisée a été construite avec des personnes autistes, et certains entretiens tout comme la recherche documentaire ont été réalisés par une assistante de recherche autiste, Sylvie Seksek, que j’ai fait monter en compétence sur certains aspects du projet.

C’est très important pour moi de travailler avec des personnes autistes et de les rémunérer pour leurs savoirs. Cette reconnaissance de leurs expertises devrait être la base. Rien ne devrait se faire sur nous sans nous.
Les recherches sont d’autant plus riches lorsqu’elles font réellement collaborer les personnes autistes. Malheureusement, c’est extrêmement rare. La plupart des recherches dites participatives demandent juste à une personne autiste son avis à un moment donné. C’est tout. Ce n’est pas ça la méthodologie participative.

Même si cette méthodologie est difficile à mettre en œuvre j’y suis extrêmement attachée. J’y accorde plus d’importance que la discipline elle-même pour mener mes recherches.
Je pense que c’est probablement mon dernier article scientifique car je ne compte pas mener de nouvelle recherche de si tôt, et je suis contente de finir là-dessus.

 

Cette volonté d’associer les personnes autistes dans vos travaux, d’être au plus près de leurs vécus et de restituer leurs paroles, c’est une conviction qui semble profondément ancrée chez vous ?

Oui c’est clair et puis je crois que c’est presque un acte militant.
Dans mon livre “Dans ta bulle “, j’avais repris une citation de Pierre Bourdieu qui disait, je crois, :
Les dominés ne parlent, pas ils sont parlés“.
Même si les choses évoluent ce sont très souvent des psychiatres ou des chercheurs qui viennent parler de ce qu’est l’autisme.

Pourtant, ce sont les gens qui le vivent au quotidien qui connaissent le mieux le sujet. Je trouve absurde de produire de la recherche sur des personnes autistes sans réellement les impliquer, de les réduire à des objets de recherche alors qu’elles devraient être sujets et co-créatrices des projets.

Le second point dans mes démarches concerne la recherche dite qualitative. Ce qui me plaît avec cette méthode, c’est que l’on va aller interroger les personnes et construire du savoir à partir de leurs propos. La difficulté, c’est qu’en psychologie aujourd’hui, on valorise énormément les recherches quantitatives (statistiques…).
Je crois que la psychologie a un complexe d’infériorité par rapport aux sciences dites dures, et que le quantitatif est très valorisé car témoigne (soi-disant) du sérieux des recherches. Cela se fait parfois au détriment du qualitatif, qui est moins considéré. C’est dommage, car cette approche permet d’obtenir des données riches et nuancées fondées sur l’expérience des principaux intéressés.
C’est aussi ce que je me suis attachée à mettre en avant dans mon dernier ouvrage “L’autisme autrement“ dans lequel je cite de nombreuses recherches qualitatives.
Les paroles des personnes autistes sont au cœur du bouquin.

 

Pourtant cette méthode peut être limitée face à l’hétérogénéité des profils dans le TSA comme par exemple avec les personnes non oralisantes ?

Mes recherches sont en effet spécialisées dans l’autisme sans trouble du développement intellectuel et concernent des publics oralisants. Dans le cadre de ma dernière recherche, on avait eu l’intention initialement d’interviewer des personnes autistes avec un trouble du développement intellectuel et / ou non oralisantes, et on avait commencé à réfléchir à la façon d’adapter nos outils, mais il s’est avéré que les personnes autistes qui bénéficiaient de l’emploi accompagné n’avaient pas du tout ce profil-là (ce qui laisse d’ailleurs sous-entendre un filtrage par la MDPH qui n’orienterait que les autistes oralisants et sans déficience intellectuelle vers l’emploi accompagné).

 Néanmoins les recherches avec un axe anti-validiste parlent pour tous, y compris pour les non oralisants. Elles se rejoignent autour de sujets et de besoins communs : plus d’autonomie et d’inclusion, mieux lutter contre les préjugés et les discriminations, une meilleure adaptation des environnements, l’importance de la neurodiversité, une meilleure acceptation d’un fonctionnement qui s’écarte de la norme…

Je rejoins le modèle social du handicap selon lequel le handicap est situationnel, contextuel. Et ça, ça vaut pour tous et toutes.

 

Cette notion d’environnement et d’autres comme la santé mentale ou le camouflage seront développées lors de votre intervention le 2 avril. Quels liens faites-vous entre elles ?

Le camouflage, le fait de masquer, est souvent corrélé avec une santé mentale dégradée. Il faut donc s’interroger sur le pourquoi de ce camouflage. Selon certains chercheurs.euses, les personnes autistes camouflent en réponse au stigma social, pour se préserver de la violence qui pourrait s’abattre sur elles si elles stimmaient en public, par exemple. Or, le prix à payer est lourd pour les personnes autistes, puisque comme nous l’avons dit à l’instant, le camouflage est associé à une santé mentale dégradée.

Il y a par ailleurs des travaux très intéressants sur le lien entre stress de minorité et santé mentale des personnes autistes, que l’on doit à Monique Botha. Quand on appartient à une minorité, on subit des facteurs de stress spécifiques à cette minorité (insultes, violences physiques, etc.) qui peuvent contribuer à expliquer les disparités entre la santé mentale et physique de ces personnes, et les autres.

Mettre en place des environnements inclusifs et respectueux du mode de fonctionnement des personnes est indispensable pour qu’elles puissent avoir certains espaces qui leur permettent de ne pas camoufler, ou moins que d’habitude. Qui plus est, les aménagements permettent d’étudier et de travailler dans de bonnes conditions, c’est un facteur de protection vis-à-vis du burn-out autistique notamment.

 

Merci Julie pour vos réponses et nous vous donnons rendez-vous le 2 avril.

L’ensemble de ces réflexions seront traitées et approfondies lors de la venue de Julie Dachez.
Retrouvez le programme complet du colloque sur : https://www.cralimousin.com/journee-mondiale-de-lautisme-2025/#conference

 

Accédez également au dossier documentaire réalisé par le CRA Limousin qui recense une partie de ces publications.
Certaines ressources sont consultables directement sur le web. D’autres peuvent être empruntées gratuitement auprès du CRA Limousin.

Interview et dossier réalisés par Nicolas Roumiguières.
Documentaliste du CRA Limousin.